Les hommes, quels mufles !, Mario Camerini (1932)

Note : 3.5 sur 5.

Les hommes, quels mufles !

Titre original : Gli uomini, che mascalzoni…

Année : 1932

Réalisation : Mario Camerini

Avec : Vittorio De Sica, Lia Franca, Cesare Zoppetti

Une comédie romantique italienne qui n’a rien encore de la critique sociale des comédies italiennes des années 60, à peine peut-on y voir un certain attrait pour les classes populaires des villes, et s’amuse-t-on y voir De Sica avec… une bicyclette.

On sent volontiers une influence de la comédie américaine pas encore screwball mais déjà romantique. Un homme, une femme, et pas grand-chose autour : Camerini sur ce plan pourrait même suivre sur sa lancée de son film muet, Rails, plus romance, pas du tout comédie, mais je ne connais pas assez le bonhomme et suis peut-être influencé par le visionnage récent de ce film, ça pourrait n’être qu’une coïncidence.

Les hommes, quels mufles !, Mario Camerini | Società Italiana Cines

En dehors de quelques effets de montage rappelant le cinéma muet expérimental, c’est plutôt efficace dans son registre, et il faut reconnaître que pour reproduire ainsi à chaque séquence le même type de situation, où deux jeunes pas encore amants qui se tournent autour se rejetant et allant vers l’autre tour à tour, il faut des acteurs admirables.

Je n’avais pas reconnu Vittorio De Sica lors de sa première apparition, et pour cause, je n’ai dû le voir en tant qu’acteur que dix ans plus tard dans I nostri sogni de Cottafavi. Très élancé, et déjà la gestuelle aristocrate pas vraiment faite pour un rôle de mécanicien qu’il interprète ici, mais on se moque de la cohérence. Le génie de l’acteur est déjà là, les mêmes expressions qu’on retrouvera si souvent par la suite : le sourire toujours de mise (même hypocrite, mais courtois — la marque très aristocrate de l’acteur), le petit regard qui flanche généreusement pour montrer qu’il pense, hésite ou s’apprête à mentir, et qui précède toujours une attaque censée cacher une sorte de double jeu constant (le sous-texte est permanent chez lui : il arrive avec cette manière de faire comprendre au spectateur que son personnage joue, ment ou séduit, qu’il cache ses réelles intentions ; le travail du spectateur est alors très simple : essayer de comprendre ce qu’il cache — mise en abîme fascinante qui renforce l’identification : on devrait savoir que c’est l’acteur qui joue, non son personnage qui cache quelque chose…). Et évidemment une vivacité dans le jeu, dans l’œil et les gestes, qui laisse peu de place au doute : un génie de la comédie. Comme tous les génies, il y a une évidence, et ce génie masque tout le reste.

De Sica crée ici un personnage à la fois charmeur et drôle ne disposant pas du moindre geste pouvant le rendre antipathique aux yeux du public. Quand il vient par exemple à gronder des enfants venant klaxonner à sa voiture, il fait mine de venir les frapper, et reprend son sourire charmeur. L’alliance rare de la noblesse et de l’humanité. Son jeu consiste à montrer qu’il séduit, qu’il ment donc, mais on ne sent jamais aucune mauvaise intention dans ce mensonge ; c’est de ces mensonges, ou de ces masques, dont on se pare, non pour tromper, mais à la fois pour être agréable à l’autre et pour masquer sa gêne ou sa timidité. Voilà, je le redis, le génie pour moi, ce n’est pas faire des plans-séquences, c’est ça, un type qui par son humanité, sa luminosité, vous convainc, que malgré tout ce dont est capable l’espèce humaine, elle est capable du meilleur dans ce qui pourrait paraître le plus anodin et le plus dispensable au monde. Un type bien, un peu sensible mais qui fait tout pour ne rien laisser paraître, et sympa. Certainement pas un mufle.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1932

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